mercredi 5 août 2015

Histoire de la coutellerie


(1/2) Des origines à l'aube du machinisme


Difficile, voire impossible, de situer précisément dans le temps, le moment et les circonstances de la naissance de la coutellerie à Gembloux. Cette activité est pour la première fois signalée dans un rôle dressé en 1747 pour les impôts de capitation. Elle se présente déjà alors comme une activité artisanale locale assez importante. Des documents d’époque font état de « huit maîtres couteliers » dont plusieurs occupent « quantité d’ouvriers ». La cité n’était alors qu’une bourgade agricole, peuplée à peine de 1.700 habitants, encore entourée de ses remparts moyenâgeux, et dont les ¾ du territoire appartenait à l’abbaye. L’activité agricole y était prépondérante mais on y trouvait des boutiquiers et des artisans. Parmi ces derniers, des maréchaux-ferrants, des forgerons et des serruriers-poêliers. C’est vraisemblablement de leurs forges et ateliers que devaient sortir les premiers couteaux et canifs produits à Gembloux.
Deux thèses également plausibles tentent d’expliquer les origines de cette activité. La première suggère que des artisans namurois se seraient fixés à Gembloux fuyant les troubles dont la cité mosane fut le théâtre pendant la guerre de 30 ans et les campagnes de Louis XIV. Ils auraient continué à Gembloux une activité que leurs ancêtres exerçaient depuis le XIVe s. La seconde impute aux abbés et aux magistrats l’initiative d’une orientation artisanale pour remédier à la misère du temps. Leurs choix se serait porté sur la coutellerie, fort en vogue à Namur. Quoiqu’il en soit, la coutellerie n’était pas tout à fait étrangère aux gembloutois. En effet, quelques-uns se rendaient régulièrement à Namur pour y prendre de la besogne chez les « febvres ». Il s’en trouvait même parmi ceux-là qui ramenaient chez eux, en charrette, quelques centaines de lames brutes à travailler à domicile.
Pour émoudre leurs lames, les couteliers recourraient primitivement à la force motrice dispensée par trois moulins à eau situés le long de l’Orneau.Ce système présentait de notables inconvénients. Les artisans devaient se déplacer, le travail était lent et ils devaient souvent attendre leur tour.
La force hydraulique fait place, à la fin du XVIIIe s. à la force humaine. Presque chaque coutelier disposa à domicile d’une meule mue au moyen de pédales ou bien d’une manivelle. Dans la cour de tel atelier on pouvait même voir un chien de grande taille, enfermé dans une roue de 3 mètres de diamètre, qui fournissait l’énergie nécessaire à la rotation de la meule.
Des centaines d’artisans travaillaient à domicile aidés par un ou deux compagnons ou apprentis mais le plus souvent avec leurs femmes et enfants. Leur production était achetée presque totalement par des marchands qui étaient aussi importateurs et grossistes des matières premières nécessaires. D’où de nombreux abus de pouvoir économique qui faillirent à plusieurs reprises provoquer de graves conflits, certains tournant même à l’émeute à tel point qu’en 1848 par exemple, l’administration communale envisagea la création d’une garde bourgeoise et avait demandé 100 fusils au gouvernement provincial pour l’armer.
La chute de l’Empire français et la politique isolationniste pratiquée par la France furent à l’origine d’une crise sévère pour la coutellerie. Aux problèmes de débouchés, il faut ajouter les difficultés d’approvisionnement en matières premières, dues essentiellement à des régimes douaniers peu favorables. L’acier nécessaire était acheté à Solingen ou à Sheffield. La crise atteint son sommet à la fin du XIXe s. , au moment ou les petits artisans se rendent compte que leurs concurrents français, allemands et anglais exploitent les nouvelles techniques offertes par le machinisme naissant, parvenant ainsi à pratiquer des prix plus concurrentiels que les leurs.
Une reconversion s’imposait de toute urgence.





(2/2) De l'âge d'or au déclin


A la fin du XIXe s. l’organisation primitive du processus de fabrication cède la place à des méthodes industrielles collectives. L’artisan fabriquant seul et en entier le produit de sa  spécialité est progressivement remplacé par l’ouvrier spécialisé à sa machine. Chacun, dans sa spécialité, s’occupera d’une phase spécifique de fabrication. Au début du XXe s. , 400 personnes sont occupées dans la coutellerie et bon nombre d’ateliers sont équipés de machines à vapeur.
Certains industriels ne se borneront pas moderniser leur entreprise: ils les orienteront résolument vers une activité à caractère plus spécialisé. Deux fabriques d’instruments chirurgicaux qui avaient été fondées en 1880, fusionneront en 1928 pour devenir la S.A. Manufacture belge de Gembloux qui a produit, dans les années ’60, plus de 6.000 instruments différents, occupait quelque 350 personnes et exportait 40 % de sa production à travers le monde.
En 1909, apparaît la première fabrique de couverts.
Peu après la guerre 14-18, Joseph Depireux, un forgeron d'une habileté rare, parvient à force d'expériences et de ténacité à forger à l'usage de la coutellerie, un nouvel acier introduit nouvellement sur le marché: l'inox. Malgré ses 12 brevets, il fut rapidement imité de toutes parts, mais rarement égalé. C'est grâce à lui que l'industrie coutelière gembloutoise impose ses produits au plan international: "les Inox de Gembloux".
En 1922, tel industriel se spécialise dans la fabrication des machettes. Ses outils de différents modèles, par ailleurs fort réputés, trouveront un débouché très large dans les colonies (Congo et Amérique du Sud). En plein essor, la coutellerie "Le Paon" s'tendait sur une superficie de 2,5 ha et était connectée au chemin de fer afin d'assurer l'approvisionnement en matières premières et le transport des produits finis. Elle cessa ses activités en 1982. A sa place, sur le site "Terres du Sud",  se situe aujourdhui le magasin "Brico".
Dès après la guerre, tel autre (Léon Laets) pressent que le plastique pourrait, par ses qualités, remplacer les matériaux traditionnellement utilisés pour l’habillement des couteaux (bois, ivoire, nacre, corne, os…). Il crée une usine de plastique (LL) qui prend un essor considérable et parvient en quelques années à diffuser des récipients divers bien au-delà de nos frontières.
Il reste cependant un petit nombre de couteliers qui, par esprit d’indépendance et attachement à leur métier, ont préféré perpétuer les traditions de leurs ancêtres. Ils travaillent encore à domicile, soit comme artisan indépendant, soit comme artisan patron. Si leur production est très limitée, les pièces qu’ils fabriquent sont fort recherchées car elles constituent de véritables joyaux de la coutellerie.
A la veille de l'invasion allemande de 1940, la coutellerie gembloutoise occupait quelque 1.200 ouvriers spécialiés.
Un relevé des Affaires économiques au 31/12/1966 mentionne que la coutellerie représentait à Gembloux 37% des entreprises occupant au moins 5 travailleurs. La répartition de la main d’œuvre dans les différents secteurs de la coutellerie était la suivante :
  • Instruments de chirurgie           1 entreprise              331 personnes occupées
  • Couverts                                 3 entreprises             163 personnes occupées
  • Forges et coutelleries               5 entreprises             160 personnes occupées.
Le déclin apparaît bientôt, du fait notamment de la concurrence étrangère, comme le Japon. La plupart des coutelleries cessent leur activité dans les décennies ’70 et ’80.
De cette activité ne subsiste aujourd’hui qu’une usine, Eternum s.a. fondée en 1924 et qui est la dernière fabrique de couverts en acier inoxydable en Belgique. A signaler aussi l’atelier artisanal de Marc Depireux, installé dans la Grand-Rue et qui s’attache à perpétuer le savoir faire de ses ancêtres depuis 1919. L’essentiel de son activité porte aujourd’hui sur l’aiguisage et la réparation de couteaux, ciseaux, chaînes de tronçonneuses, et l’assemblage de couteaux d’orfèvrerie…
www.sonuma.be/archive/le-dernier-coutelier-de-gembloux






















vue aérienne de la coutellerie "Le Paon" début '80.


Publicité en 1983 - Couverts Maurice Piérard

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